La folie des châteaux, une passion ruineuse

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La folie des châteaux, passion ruineuse ou business très rentable ?
CHALLENGES N°530 du 24 au 30 Août 2017.

Les 30.000 châtelains français sont des passionnés. Qui doivent se démener pour trouver des financements en séduisant les touristes comme une clientèle business.

Depuis 35 ans, le château de la Mazure accueille des cadres des grandes entreprises en pension complète pour des séjours linguistiques en immersion totale

La folie des châteaux, passion ruineuse ou business très rentableVoici un château du XIXe siècle comme il en existe des centaines en France, perdu au milieu d’un parc de 60 hectares à quelques kilomètres de Laval. Mais ici les visiteurs ne viennent pas pour admirer le site, ils sont là pour… apprendre l’anglais. Depuis trente-cinq ans, le château de la Mazure accueille des cadres de grandes entreprises en pension complète pour des séjours linguistiques en immersion totale, séduits par le cadre et son confort. « Cette activité a permis de financer la rénovation complète des communs », explique Thibault Le Marié, 35 ans, qui a repris la gestion du domaine.

Faire preuve de créativité et d’audace est devenu la clé des propriétaires de châteaux pour monétiser leur patrimoine et espérer pouvoir le conserver dans le giron familial. Cheverny (350 000 visiteurs par an) fait sans doute figure de modèle en la matière. Cette PME familiale emploie plus de cinquante salariés à l’année. Organisation de soirées costumées, concerts, visite en barque, hébergement… Le très dynamique couple de propriétaires, Charles-Antoine et Constance de Vibraye, arrive à se verser un salaire de 8 000 euros par mois. Mais le cas de Cheverny est très marginal. Nombreux sont les propriétaires qui peinent à joindre les deux bouts.

Il existe environ 30.000 châteaux en France dont l’immense majorité appartiennent à des propriétaires privés… D’après la direction générale du Patrimoine (ministère de la Culture) un tiers sont classés ou inscrits à l’Inventaire des monuments historiques. Ce qui offre encore des avantages fiscaux non négligeables mais ne permet plus d’espérer des subventions publiques. « Les moyens financiers mis à la disposition des directions régionales des affaires culturelles ont fondu ces dix dernières années », rappelle Catherine Bonamy, spécialiste du tourisme culturel au cabinet CBC XII. Pourtant, la France des châteaux est une réalité économique. « C’est un secteur qui fait travailler environ 50 000 équivalents temps plein », a calculé Xavier Greffe, économiste du patrimoine, professeur à l’Université Paris-I-Panthéon- Sorbonne.

« Nous assistons à un vrai tournant avec la montée en puissance de toute une nouvelle génération qui prend en ce moment les commandes de ces sites avec un esprit davantage entrepreneurial que les précédentes », constate Xavier Greffe. La Demeure historique, le lobby des châtelains français, l’a bien compris. Son président, Jean de Lambertye, a créé Next Gen, un groupe très dynamique de jeunes repreneurs qui partagent leurs bonnes pratiques. « Nous sommes en train de créer une centrale d’achat commune afin d’optimiser nos dépenses de fonctionnement », explique Thibault Le Marié.

« Boîte à outil » à l’automne
De son côté, l’Etat est conscient de sa capacité très limitée à pouvoir venir en aide aux châtelains. Mais il reste néanmoins persuadé que cette France des châteaux est un atout pour notre pays, toujours première destination touristique mondiale. C’est la raison pour laquelle Bercy, via la direction générale des entreprises, le ministère de la Culture et la Caisse des dépôts ont confié à des spécialistes de l’ingénierie touristique, Catherine Bonamy, du cabinet de conseil CBC XII, et Hermine de Saint Albin, du cabinet Le tourisme dans le bon sens, le soin de travailler à la réalisation d’une « boîte à outils » pour tous les propriétaires de châteaux privés en France. « Notre approche très concrète doit permettre à un propriétaire de visualiser très facilement le potentiel de son site et les moyens nécessaires pour y parvenir », détaille Hermine de Saint Albin. La boîte à outils, qui devrait être opérationnelle à l’automne, a l’ambition d’apporter des solutions concrètes à tous les profils de châteaux.

Développement économique
Comment attirer davantage de visiteurs ? Comment monétiser son patrimoine ? Hébergement hôtelier ou chambre d’hôtes ? Restaurant étoilé ou brasserie ? Pour mettre au point leur outil, les deux pilotes de cette étude ont auditionné des dizaines de propriétaires et ont regardé ce que faisaient nos voisins européens. « Pour y arriver, les propriétaires doivent faire feu de tout bois et étudier toutes les voies de diversification », insiste Catherine Bonamy. L’hébergement apparaît comme une voie de salut mais si la rentabilité opérationnelle est rapide, le retour sur investissement est assez long.

Propriété privée

A qui appartiennent les 10500 châteaux recensés par le ministère de la culture

88 % : Privé
9,5 % : Collectivités locales
1,5 % : Etat
1 % : Associations

« On note une évolution de posture dans l’administration, qui ne se limite plus au seul postulat de la conservation et est plus ouverte à ce que des monuments soient adaptés pour y développer une véritable économie touristique », constate Hermine de Saint Albin. C’est dans ce sens qu’ont été organisées en novembre 2016 les premières Rencontres du tourisme culturel sous l’égide de Bercy et de la rue de Valois. La nouvelle génération de conservateurs en chef des Monuments historiques commence enfin à comprendre que la conservation d’un site historique passe par son développement économique et que les deux ne sont pas forcément incompatibles.

La Caisse des dépôts en est, pour sa part, convaincue. Tout est parti des Assises du tourisme fin 2015, présidées par Laurent Fabius, qui ont voulu donner une nouvelle impulsion à l’attractivité touristique française fortement concurrencée par l’Espagne et les Etats-Unis. Les châteaux français sont perçus comme un atout pas suffisamment exploité. L’institution financière dégage alors une enveloppe de 400 millions d’euros par an pour l’investissement territorial auprès de six filières touristiques qui vont des parcs à thèmes, en passant par les ports de plaisance, jusqu’aux châteaux privés. « Nous intervenons comme investisseur immobilier auprès de châtelains qui développent des projets de rénovation», explique Dominique Pianon, à la Direction des investissements et du développement local. Il ne s’agit ni de subvention ni de prêt bonifié, mais bien d’une participation comme actionnaire minoritaire dans la société de gestion privée d’un site. « La présence de la Caisse des dépôts au capital rassure les autres banques qui rejoignent ensuite plus facilement le tour de table », poursuit Dominique Pianon. A ce jour, la Caisse des dépôts a déjà présélectionné six châteaux privés. Une goutte d’eau. Mais ce nouveau schéma de financement sera regardé à la loupe par les propriétaires comme par les banques encore trop souvent sceptiques sur la rentabilité de nos châteaux. Par Thiébault Dromard


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