Le patrimoine bâti et la protection incendie

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Le patrimoine bâti et la protection incendie

Merci de me donner la parole. Effectivement, je suis conseiller technique en sécurité incendie au Ministère de la Culture, mais je suis également officier de la brigade de sapeur-pompier de Paris. Ma mission est donc d’apporter mon expérience de sapeur- pompier dans le cadre de mes attributions, en particulier pour les monuments historiques. Le thème que je me propose donc d’aborder est « Patrimoine bâti et protection des monuments historiques ».

Article ICOMOS* Paris 2011 – www.icomos.org
*L’ICOMOS est une organisation internationale non-gouvernementale qui œuvre pour la conservation des monuments et des sites dans le monde.


Régis Prunet
Lieutenant-colonel
Conseiller sécurité incendie, Ministère de la Culture et de la Communication, France.


Jusqu’à présent, nous avons parlé de prévention, mais malheureusement les incendies existent également, et lorsque le sinistre ce produit, cela marque particulièrement l’opinion, comme avec l’incendie du château de Lunéville en 2003. Bien évidemment, lorsqu’on ne peut pas intervenir rapidement, on ne peut que déplorer les dégâts.

Je voudrais ici traiter deux points. Premièrement, les bâtiments en eux-mêmes. Je vous proposerai deux exemples connus de tous : Notre-Dame de Paris et le Mont-Saint-Michel.

Appliquer la réglementation incendie à des bâtiments neufs n’est pas toujours facile. Cela devient déjà plus compliqué quand on commence à traiter les bâtiments existants. Enfin, quand on travaille sur des monuments historiques – où il est bien évident qu’il faut préserver au mieux le patrimoine – il va falloir souvent faire preuve d’imagination.

La deuxième problématique, ce sont les secteurs historiques. Ce n’est pas le monument par lui-même, mais ce sont des secteurs sauvegardés aux cœurs historiques des villes. J’en ai relevé deux : Montmartre et Nice. On peut facilement se rendre compte des difficultés à intervenir dans ces sites pour les sapeurs pompiers pour préserver au mieux ces monuments ; il ne faut pas seulement traiter les bâtiments, mais l’ensemble du cœur historique.

Pour ce faire, nous avons en France une réglementation qui est souvent très contraignante. Je peux vous montrer quelques exemples de mesures administratives ou d’arrêtés. Tout cela représente beaucoup de techniques à appliquer aux monuments.

Les ERP sont les établissements recevant du public. De fait, en France, il n’existe pas de réelle réglementation propre aux Monuments Historiques en matière de protection incendie. Il y a bien sûr le code du patrimoine, mais il n’y a pas de partie spécifique traitant du risque incendie. Il faut aller la chercher dans la réglementation de l’activité que l’on donne au monument. S’il y a du public, on va traiter le monument avec la réglementation propre aux Etablissements Recevant du Public ou bien des immeubles de Grande Hauteur (IGH). Il en existe assez peu d’anciens, mais il est très difficile de traiter la protection incendie avec ce type de bâtiments.

Nous avons aussi les immeubles d’habitation, pour lequel il existe une réglementation spécifique. Il y a également tous les autres bâtiments qui sont soumis au code du travail – donc à destination des travailleurs. Nous avons donc différents types d’activité où l’on va appliquer les mêmes grands principes, mais sans réglementation spécifique pour les monuments historiques. On retrouve les monuments historiques parmi les différents types d’activité : travail, habitation ou Etablissement Recevant du Public.

L’habitat, les ERP ou les lieux soumis au code du travail sont donc régis par les mêmes grands principes parmi lesquels le problème de l’accessibilité des secours. Il va nous falloir en effet trouver des solutions pour que les engins puissent approcher du bâtiment. La réglementation en vigueur impose l’’accessibilité aux façades. Avec des façades et des baies classées monuments historiques, il faut faire preuve d’imagination pour pouvoir intégrer au mieux tous ce que la réglementation impose. De plus, la loi de 2005 sur l’accessibilité des personnes handicapées a fait apparaître des mesures d’évacuation qui doivent également être intégrées à la réglementation incendie, ce qui augmente les difficultés.

Il y aussi les questions de distribution intérieure, les dégagements, les sorties, les escaliers… Quand on est dans une cathédrale, on a un réel problème au niveau des portes. Pour vous donner un exemple, quand vous avez des portes monumentales, il est impossible d’en changer le sens d’ouverture, alors que toutes les réglementations vont demander une évacuation sûre et rapide. Il faut donc que les portes s’ouvrent dans le bon sens, le sens de l’évacuation. Ce sont là des problématiques qu’il va falloir prendre en considération.

On nous impose aussi pour les escaliers la création d’exutoires ou d’ouvrants pour faciliter le désenfumage. En effet, sans désenfumage, les gaz chauds vont rester à l’intérieur du monument, et contribuer à une propagation de l’incendie. C’est une problématique qu’il va donc falloir toujours essayer d’intégrer. Enfin, pour l’évacuation des personnes également, et quel que soit le type d’activité, on aura toujours besoin d’un éclairage de sécurité, d’alarme incendie, et éventuellement d’une détection incendie.

Vous voyez donc qu’on retrouve tous ces principes dans les différents types de bâtiments existants. C’est une problématique à laquelle il faudra toujours trouver une réponse. C’est forcément très contraignant pour le cadre bâti et pour le patrimoine, puisque si effectivement on traite un bâtiment en se fiant uniquement à la réglementation, il est évident qu’on va de toute façon dénaturer le monument. Il y a cependant la possibilité, notamment en France, de procéder à une réelle analyse du risque, ce que le législateur permet. Dans ces réglementations, il y a des articles qui permettent aux responsables de sécurité, aux pompiers, aux commissions de sécurité de faire une analyse de risque. Dans le cas d’une crypte médiévale avec des dépôts lapidaires qui correspond par exemple à la nef, on ne va pas mettre de portes coupes feu, alors que la réglementation peut l’imposer. Dans ce cas une demande de dérogation au règlement de sécurité sera proposée.

Ces dérogations sont admises par la réglementation. Quand on me demande un avis sur un dépôt d’archives avec un potentiel important, il est évident qu’il faudra trouver une solution pour pouvoir y intégrer au mieux des portes coupe-feu, alors que dans l’exemple du lapidaire le danger est moindre. Pour pouvoir adapter la sécurité incendie aux sites et bâtiments il est indispensable de procéder à l’analyse du risque et de proposer des mesures compensatoires pour obtenir l’autorisation des services instructeurs. Ces mesures compensatoires, peuvent être la mise en place d’une détection incendie qui n’était pas obligatoire, mais qu’on va tout de même proposer parce qu’elle permettra une alerte précoce. Cela nous permettra aussi d’intégrer, de surveiller, et de protéger au mieux le patrimoine. On est souvent obligé, quand on est dans des sites très importants, de faire un cahier des charges d’exploitation. C’est-à-dire, comptetenu de l’exploitation du site, faire un cahier de charges et imposer certaines règles en fonction des manifestations prévues. Il y a ainsi toujours des possibilités de trouver les moyens d’intégrer la sécurité incendie tout en préservant le patrimoine.

Bien sûr, il y a aussi des technologies qui permettent de surveiller, de protéger contre l’incendie. En intégrant mieux la détection incendie – avec des techniques et des technologies qui sont très poussées permettant de les intégrer dans des décors – celle-ci devient invisible aux yeux du visiteur, et cela nous permet de surveiller le site tout le temps, même quand l’établissement est fermé, et de pouvoir intervenir rapidement. Il est évident que la technologie est importante, mais le facteur humain reste primordial. Il faut bien adapter la technologie, mais aussi intégrer l’aspect humain, et prendre en charge toutes les informations que la technologie pourrait nous fournir. Je voudrais vous montrer aussi différents moyens qui peuvent également être intégrés au mieux dans le patrimoine, avec trois exemples, et en premier lieu, le Mont-Saint-Michel. Je vous ai parlé tout à l’heure de la nécessité de mettre à l’abri les personnes handicapées et ceux qui auront des difficultés. Quand on prend la réglementation, elle nous demande de faire des espaces d’attente sécurisés. Dans le cas des monuments, on ne peut pas créer ces espaces. Pour le Mont Saint Michel, on a donc pensé à utiliser les terrasses pour que ces personnes puissent se mettre à l’abri. Cela nous a permis de ne pas dénaturer l’édifice. Un autre exemple : pour avoir une visite relativement sombre, qui respecte le caractère de l’abbaye, la commission de sécurité a accepté de limiter l’éclairage de sécurité, avec une technologie plus adaptée. La mise en lumière est fonction du déclenchement de l’alarme incendie. Ce type d’ajustement est donc possible grâce à une adaptation de la réglementation. On a la même problématique au château de Champs sur Marne, où l’on a utilisé les agents, le facteur humain pour la mise à l’abri des personnes handicapées. Quand on a des agents à disposition, on les utilise. Il s’agit là seulement de quelques exemples pour lesquels on a recherché la meilleure solution pour sécuriser les personnes tout en pensant au respect du monument.

Pour terminer, je voulais donner l’exemple de la cathédrale de Saint-Flour, où il n’y a presque pas d’éclairage de balisage pour indiquer les sorties. Tout a été fait en intégrant des projecteurs cachés dans les triforiums ou les piliers, ce qui permet une mise en lumière selon les besoins. En temps normal, vous ne voyez pas ces indications. Ce type d’adaptations existe. Il faut cependant monter un dossier pour faire des propositions aux autorités compétentes. Enfin, je voudrais aborder les difficultés rencontrées dans les secteurs historiques, difficiles d’accès comme dans le quartier du centre historique de Nice. Bien souvent les engins d’incendie ne peuvent pénétrer. Le risque de propagation d’un immeuble à un autre est réel de part la proximité des immeubles séparées par des ruelles très étroites. Il y a aussi le problème de l’éloignement des points d’eau. Comment répondre à cette difficulté ? Les sapeurs-pompiers ont des plans de secours et des scénarios d’interventions spécifiques dans ces secteurs sauvegardés. Il y a des conceptions d’intervention particulières contre l’incendie. Quand on sait que les pompiers auront des difficultés pour arriver aux monuments, il faut ainsi pouvoir disposer de moyens automatiques pour donner l’alerte au plus tôt. On travaille également beaucoup en ce moment sur l’élaboration des plans de sauvegarde des œuvres. Tous les propriétaires de biens culturels ont l’obligation de préparer un plan de sauvegarde, avec un inventaire qui indique les pièces les plus importantes, de manière à ce que les pompiers prennent en compte toutes ces informations pour pouvoir intervenir au plus vite et sauver ce qui a le plus de valeur. Pour conclure, traiter le risque incendie est incontournable. Mais il faut savoir faire preuve de concertation avec les autorités, car avec un peu de bon sens, on arrive à trouver des solutions qui nous permettent de sauvegarder au mieux et de ne pas dénaturer nos monuments.

Article publié sur le site icomos – L’ICOMOS est une organisation internationale non-gouvernementale qui œuvre pour la conservation des monuments et des sites dans le monde.
https://openarchive.icomos.org/1174/1/II-2-Article8_Prunet.pdf

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