L’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris a révélé l’œcuménisme des actions de restauration menées par les institutions financières.
La crèche de Notre-Dame de Paris, réalisée par l’Association internationale du Salon des santonniers d’Arles, a trouvé refuge dans la cathédrale de Verdun. Le 15 avril, ce n’est pas seulement la physionomie de Paris qui a changé. L’incendie de Notre-Dame, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, a suscité un émoi général, au-delà des frontières françaises et européennes.
Dès le 16 avril, la Fondation du Patrimoine, créée en 1996 pour la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine national, a lancé une souscription. Très vite, des promesses de dons sont arrivées du monde entier vers différentes associations ou fondations, le centre des Monuments nationaux, par le biais d’une convention avec le ministère de la Culture… Lors de sa dernière conférence, celui-ci a annoncé près de 922 millions d’euros récoltés ou promis.
Au précédent pointage, les différentes structures impliquées avaient comptabilisé environ 850 millions d’euros, dont 229 millions auprès de la Fondation du Patrimoine. « Les chiffres de notre collecte ont encore évolué, explique son porte-parole, bien que nous ayons annoncé la fin de la campagne de souscription un mois après l’incendie. » Tous les dons ont la même finalité. Pour conduire et financer les travaux, l’établissement public pour la restauration de Notre-Dame a pris corps fin novembre. Le président de la République Emmanuel Macron lui a fixé une échéance : 2024, l’année des Jeux olympiques.
Au sein des groupes bancaires français, BPCE, qui vient de finaliser sa convention avec la Fondation du Patrimoine, l’organe collecteur de ses dons, envisage ensuite de mener des opérations en fonction des besoins. « A ce stade, nous n’avons pas de contact avec les intervenants sur le chantier (entreprises, artisans d’art…), mais nous espérons, dès que possible, pouvoir valoriser avec nos Banques Populaires et Caisses d’Epargne, via la Fondation et l’établissement public qui sera en relation avec tous les acteurs, ces corps de métiers, qu’ils soient en Ile-de-France ou en régions », explique le porte-parole du groupe. De nombreuses entreprises ont ainsi apporté leur soutien financier pour la reconstruction de Notre-Dame, mais aussi mis en œuvre des mécénats en nature et accompagné l’engagement de leurs salariés.
Le 17 avril, Laurent Mignon, en tant que président de la Fédération bancaire française (FBF), avait affirmé le « soutien » « de toute la profession » « face à une épreuve qui touche profondément notre pays ». Parmi les adhérents de la FBF près de 50 millions d’euros de dons avaient déjà été annoncés. BNP Paribas, Capgemini, JPMorgan… « Les versements des grands mécènes s’étendront sur plusieurs années, tout au long du chantier de restauration, au fur et à mesure des appels de fonds que leur adressera la Fondation Notre Dame, a précisé le 30 septembre cette fondation créée en 1992 par le cardinal Jean-Marie Lustiger. Ils participeront également au Comité de suivi de la restauration, tel que prévu par la convention cadre établie avec le ministère. » Dans cet effort de longue haleine, la Société Générale a ainsi décidé d’un abondement à la Fondation du Patrimoine à hauteur de 10 millions d’euros, soit 2 millions d’euros par an de 2019 à 2023 inclus. « Le versement se fait chaque année avant le 31 décembre », précise la banque.
Dans le monde des paiements, PayPal, ApplePay ou Amazon Pay ont permis aux internautes de faire un don à l’issue d’un achat, tout de suite après l’incendie. Tandis que la Société Générale a mis en place le 25 avril une opération d’abondement aux côtés des clients de sa banque de détail en France : pour toute nouvelle souscription à la Carte Collection City Paris, la banque reverse 24 euros au bénéfice de la Fondation du Patrimoine, la Fondation Notre-Dame et la Fondation de France.
De son côté, Groupama a proposé 1.300 chênes centenaires, prélevés dans ses forêts normandes, pour la charpente de la cathédrale. Celle-ci appartenant à l’Etat, qui pratique souvent l’auto-assurance, le courtier Verspieren a, lui, suggéré d’apporter son assistance pour la mise en oeuvre des programmes d’assurance et ses services au maître d’ouvrage (l’Etat) pour la reconstruction de l’édifice, dans le cadre d’un mécénat de compétences. Il confirme à L’Agefi Hebdo que « le ministère de la Culture s’est engagé à prendre attache avec le groupe dès les conclusions de l’analyse sur les travaux ».
Entreprises et salariés ensemble
Certains acteurs de la banque ou de l’assurance ont concentré leurs soutiens sur les sapeurs-pompiers de Paris. Axa France finance ainsi l’achat, pour 100.000 euros, d’un second robot-pompier, Colossus. Ce drone terrestre, fabriqué par Shark Robotics, une entreprise de La Rochelle, est intervenu lorsque la flèche de Notre-Dame menaçait de s’effondrer. Capable de transporter du matériel, d’envoyer 3.000 litres d’eau par minute, doté d’une caméra thermique et de capteurs de gaz, Colossus peut aussi évacuer des blessés. GMF Solidarité a pour sa part choisi de réaliser un don à l’intention de l’Association pour le développement des oeuvres sociales des sapeurs-pompiers de Paris qui, « au péril de leur vie et grâce à leur professionnalisme exceptionnel, ont sauvé la cathédrale », souligne le Fonds d’Entraide du groupe GMF. Et précise : « Ce don d’un montant de 20.000 euros a été versé à l’Association fin avril 2019. L’usage relève de la seule décision de l’Association. » CNP Assurances a apporté son soutien à cette même association en lançant une collecte auprès de ses collaborateurs et en s’engageant à doubler le montant total de leurs dons.
AG2R La Mondiale, la Caisse des Dépôts, Lazard… Plusieurs acteurs de la finance ont uni leurs forces à celles de leurs salariés. Le groupe BPCE a ainsi ouvert une collecte en ligne, via Le Pot Commun, auprès de ses collaborateurs en France et à l’international, destinée aux pompiers à Paris et sur l’ensemble des territoires. « Au total, près de 44.000 euros ont été recueillis du 17 avril au 6 mai 2019, auprès de 1.160 collaborateurs représentatifs des entreprises du groupe, indique à L’Agefi Hebdo un porte-parole. Le comité de direction générale de BPCE a décidé d’abonder ce montant à hauteur de 100.000 euros, qui ont été intégralement reversés à l’Œuvre des pupilles orphelins et fonds d’entraide des sapeurs-pompiers de France. » American Express aussi a réalisé un don exceptionnel, via sa fondation, et s’est engagé à abonder chaque euro versé par ses collaborateurs – en Europe et même aux Etats-Unis – cette fois pour l’association Friends of Notre-Dame de Paris.
Large et récurrent
L’élan pour Notre-Dame révèle que la démarche de mécénat en faveur du patrimoine français s’inscrit dans un engagement large et récurrent. Moins de 48 heures après l’incendie qui a ravagé l’édifice, regrettant « des polémiques inutiles sur la défiscalisation des dons », le Medef rappelait que les entreprises françaises, dont 96 % de TPE et PME, ont versé 3,7 milliards pour l’intérêt général en 2017, avec un don moyen de 24.000 euros. Selon les chiffres de l’association Admical, cette année-là, seules 49 % des entreprises mécènes ont déclaré tout ou partie de leurs dons à l’administration fiscale.
Les acteurs économiques étrangers implantés en France participent eux aussi à la préservation de notre patrimoine national. La Fondation American Express a par exemple consacré, ces vingt dernières années, 60 millions de dollars à la conservation de sites historiques majeurs dans le monde, parmi lesquels le musée du Louvre, le château de Chantilly ou la maison de Vincent van Gogh à Auvers-sur-Oise. Pour sa part, Generali France communique sur « son action de mécénat en faveur de la restauration du patrimoine italien en France » depuis 25 ans, notamment à travers son soutien au Domaine national de Chambord, inscrit sur la première liste des Monuments historiques dès 1840 et au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981, avec sa contribution à la restauration du cabinet du Giotto au Château de Chantilly en 2003 ou de la statue de Saint-Marc de Notre-Dame de Paris en 2018.
Parmi les groupes français du secteur banque-assurance, les initiatives sont aussi variées que les entreprises. Par exemple, le groupe Verspieren apporte son soutien à l’association Vieilles Maisons françaises (l’une des dix fondations abritées par la Fondation de France), et sa filiale spécialisée dans l’assurance de biens d’exception est partenaire de La Demeure historique, qui représente les propriétaires-gestionnaires de monuments et jardins historiques privés. En tant que grand donateur du secteur, le groupe Crédit Agricole s’est quant à lui organisé autour de la Fondation des Pays de France, reconnue d’utilité publique, qui oeuvre depuis 40 ans aux côtés des 39 Caisses régionales. « Pour Notre-Dame, le montant et l’urgence ont été exceptionnels. L’engagement du Crédit Agricole est collectif, souligne Virginie Percevaux, déléguée générale de la Fondation des Pays de France. Notre versement, pour les premiers travaux, sera effectif avant le 31 décembre : 5 millions d’euros répartis entre Crédit Agricole SA (2,5 millions), la Caisse régionale d’Ile-de-France (1 million) et les 38 autres Caisses de Crédit Agricole pour le complément. Cette fois, notre fondation a collecté en interne et signé une convention avec le ministère de la Culture dont nous connaissons les interlocuteurs car le Crédit Agricole est notamment partenaires des Journées du Patrimoine. » En montant, le précédent soutien le plus significatif était allé aux grottes de Lascaux : 700.000 euros versés par la Fondation, la Caisse régionale Charente-Périgord et Crédit Agricole SA.
Financements de proximité
Depuis 1979, Pays de France a accompagné plus de 1.400 projets (patrimoines bâti, artistique, naturel, industriel, agricole et maritime, musées, etc.) pour un montant supérieur à 42 millions d’euros. « Notre force, pour identifier des actions de proximité et les suivre repose sur un réseau humain, explique Virginie Percevaux. Bon nombre d’administrateurs montent des dossiers qu’ils présentent à leur Caisse régionale qui peut ensuite nous les adresser. Notre conseil d’administration se réunit trois fois par an pour faire ses choix. » Un conseil d’une quinzaine de membres : représentants du Crédit Agricole, personnes qualifiées (telles que l’historien Jean Tulard, le géographe Jean-Robert Pitte ou Bernard Pivot) et les deux membres du collège institutionnel pour le Ministère de la Culture et le Conseil d’Etat. En 2019, Brigitte Macron, le ministre chargé des Collectivités territoriales Sébastien Lecornu et Stéphane Bern ont inauguré le Centre 1415 d’Azincourt, soutenu par le Crédit Agricole Nord de France et sa Fondation avec Pays de France. Le musée des Beaux-Arts de Besançon a aussi rouvert ses portes au public, après quatre ans de travaux, grâce au soutien financier du Crédit Agricole Franche Comté et de la Fondation Pays de France. Cette dernière, avec Crédit Agricole Val de France a, autre exemple, permis aux vitraux de la chapelle Saint-Piat dans la cathédrale de Chartres de retrouver leur éclat ou, avec le Crédit Agricole de l’Anjou et du Maine, à l’Abbaye royale de Fontevraud de se doter d’une nouvelle salle d’exposition en abondant de 20.000 euros un financement participatif (via la plate-forme Commeon), lui-même de près de 26.000 euros.
C’est avec cette même intention de proximité qu’Axa France s’est engagé en juin aux côtés de la Mission Bern (lire La Parole à…). Et c’est aussi en 1979 que la Caisse d’Epargne décide de soutenir le projet de retour en France du Belem. « Elle se porte acquéreur et le ramène sous pavillon français. Elle crée en 1980 la fondation Belem à laquelle elle fait alors don du navire. Grâce à sa volonté et à son soutien financier, le trois-mâts est remis en état de navigation et reprend la mer en 1985, raconte un porte-parole de BPCE. La Caisse d’Epargne mène une action en matière de conservation du patrimoine. Elle contribue à faire du Belem une ‘école de la vie’ et un modèle unique de transmission des savoirs au bénéfice d’un très large public. » En 2003, c’est la Banque Populaire qui est devenue mécène de l’association Éric Tabarly, dont les objectifs sont de maintenir en condition de navigabilité les Pen Duick, et les faire naviguer ; de poursuivre l’œuvre maritime et éducative du navigateur en favorisant le développement de la culture maritime, en suscitant l’intérêt, la recherche et l’innovation dans les différents domaines de la plaisance ; et enfin d’accompagner et aider la Cité de la Voile Eric Tabarly. Comme la ville de Paris, le patrimoine français fluctuat nec mergitur.